Oui, quelque chose semble vraiment differente.
Les mains de Dirk commencent à trembler, si violemment qu'il laisse tomber son tournevis dans le châssis du robot de combat sur lequel il travaille. Il cliquette un moment avant d'atterrir quelque part où il sera sans doute très difficile à récupérer. Cela n'a plus d'importance. Il n'y a plus de temps pour les battle-rap, ni la politique, ni les frasques aventureuses farfelues. Il n’y a plus de temps pour rien.
De la sueur perle à ses tempes, Dirk s’éloigne de son établi en titubant et s’appuie contre le mur. Ses genoux flageolent, sa tête tourne, ses paumes sont si moites que le béton lui paraît lisse sous les mains. Il manque de peu de faire tomber son téléphone en essayant de composer dramatiquement le numéro de Jane à travers le brouillard de sa stupeur tremblante et sudorifique.
DIRK: Salut, Jane. Mauvaise nouvelle.
DIRK: Annule tout.
JANE: Pardon, quoi?
DIRK: Tous les plans.
DIRK: Annule-les.
DIRK: C'est fini.
JANE: Qu’est-ce qui est fini, Dirk?
DIRK: Je viens de te le dire. Tout.
DIRK: Parce qu’on annule tout.
JANE: Dirk, tu es sûr que ça va?
DIRK: Ouais, ça va.
JANE: Tu as l’air terrible.
JANE: Ce n’est pas ton genre d’abandonner une escapade comme ça sans une longue diatribe à son sujet.
DIRK: Ah oui, j'ai oublié de mentionner.
DIRK: Les longs diatribes, c'est fini aussi.
DIRK: Elles sont annulées.
Jane pousse un grand cri de surprise, sans la moindre trace d’ironie.
JANE: Je ne comprends pas.
DIRK: Ne t'en fais pas.
DIRK: Fais juste ce que je dis.
Il raccroche et ouvre ses contacts pour envoyer un texto à Jake et annuler tous leurs combats télévisés pour le futur perpétuel . Il bloque ensuite le numéro de Jake, car si cela ne vaut pas la peine de l’expliquer à Jane, ce n’est certainement pas la peine de l’expliquer à Jake. D’ailleurs, rien ne vaut jamais vraiment la peine d’être expliqué à Jake. Le numéro de Jake ne mérite même à peine d’être enregistré dans son téléphone, si Dirk est tout à fait honnête.
À travers la fenêtre de l’atelier, Dirk peut voir le soleil toucher l’horizon. Ah, exquis: il prend un instant pour apprécier la sublime synthèse entre l’atmosphère et la crise existentielle qu’il traverse en ce moment. Le soleil se couche à la fois physiquement et métaphoriquement. Pas mal, pense-t-il, puis se corrige, car même s’il y a toujours du temps pour se délecter de la volatilité de la causalité, la situation est en fait et pour de vrai incroyablement mal.